Les yeux de Laura Perle

 

 

 

Un petit pot de beurre et des galettes

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    II était une fois une petite femme nommée Laura Perle, la plus civilisée qu'on eût su voir, qui habitait dans un petit village. Un jour un ami, ayant cuit et fait des galettes, m’a dit : « Allons voir comment se porte Laura Perle, car on m'a dit qu'elle était malade, portons-lui les galettes et ce petit pot de beurre. »

     Ainsi nous partîmes aussitôt pour aller chez Mme Laura Perle.

 

     Dans le petit patio de sa maison bourgeoise aux briques rouges tapissées de roses, la fameuse Laura Perle nous avait accueillis. De ce que m’en avait dit mon ami auparavant, je savais seulement que Laura Perle était une attrac­tion, une originale, qui avait eu la chance : de ne jamais avoir eu à travailler de sa vie.

     Au bout de quelques minutes, nous passâmes dans un petit jardin baigné de soleil, derrière la maison. Là, nous nous installâmes sur des chaises, autour du thé, du café, du champagne, et des petits gâteaux.

     Nous restons là quelques heures, à l’ombre des murs, le tapis vert de l’herbe brûlante à nos pieds.

     L’ambiance est bonne, et nous rions beaucoup.

     Laura Perle provoquait chez nous des crises de fou rire. En fait Mme Laura Parle semblait en pleine forme.

     Laura Perle aurait pu représenter pour certains un idéal de vie, parce qu’elle n’avait jamais travaillé, et pourtant quel­que part elle était comique ou effrayante, suivant qu’on la prenait ou non au sérieux.
 

 

Laura Perle a de grands yeux

 

     Ce n’était même pas de l’excentricité. Elle avait été pro­tégée toute sa vie. Elle n’avait jamais eu à se battre, jamais eu à subir l’humiliation des hiérarchies, la souf­france et la mécanisation de ses instincts par le travail monotone, jamais eu à développer son instinct de survie dans une équipe.

     Le résultat de la vie de Laura Bush, si facile et si protégée, il ne valait pas mieux, non, pas mieux que les autres ombres qui marchaient dans les rues ou se cachaient : derrière leurs bureaux et leurs machines et leur « Job ».

     Laura Perle ! Tu m’as fait comprendre qu’il y a pire que la souffrance du travail. C’est l’absence de toute souf­france et de toute peur, et de tout désir pour en avoir.

     Petite fille, Laura Perle ne rêvait que d’être une épouse. Adolescentes, Laura Perle et ses copines ne parlaient que des gars qu’elles épouseraient. Ils sortiraient d'une école de Commerce ou plutôt auraient forcément beaucoup d’argent. Les idées de ces courtisanes nées étaient précises et aiguisées. Situation sociale : il n’y avait jamais eu chez ces bourgeoises prosti­tuées nées, le moindre critère, la moindre pensée, le moindre goût pour une autre valeur.

 

DAF - Der Raeuber und der Prinz
 

 

Le vaincu dont on mange le cœur

 

     Hé, Laura Perle, est-ce qu’il faut te prendre au sérieux ?

     Tu me dis que Darwin était un farfelu, et que ses théories ne servent à rien (!). Tu me dis que tous ces jeunes qui ne veulent pas travailler, et qui veulent vivre des aides – ces jeunes-là – ils n’auraient pas dû naître !

     J’ai regardé les yeux de Laura, et j’ai lu dedans qu’elle n’aurait vraiment aucune pitié.

     Proie de mon instinct, Laura Perle me dit : « Comme font la plupart des parents américains, je donne à mes enfants plein de pilules et de médicaments, pour qu’ils soient sages, obéissants, attentifs, et consciencieux. Je les aurais bien aussi élevé au martinet, mais il parait que cela ne se fait plus. »

     Elle me dit : « Je combats la vivisection. À moins de rem­placer les rats par des asociaux, il faut arrêter toutes ces expé­riences. Que veux-tu, je n’ai pas de pitié pour les parasites. »

    Et puis : « Je regrette le temps où les femmes devaient cacher le moindre morceau de leur chair. Car alors, le moindre carré de cheville nue rendait fous des hommes. Je suis une moraliste et une vicieuse. Il y a de ces confusions, délicieuses et bon chic ! »

     Laura Perle a trente-huit ans, des cheveux blonds, trois beaux enfants, et le sourire salace. « Her tailor is rich », et la situation de son mari lui paraît enviable.

     Laura Perle, tu me regardes comme une reine abeille avec des antennes, ou quelque chose comme ça, tu as l’air complè­tement obsédée de domination et sans pitié. Tu sembles dégager des phéromones et des ordres terribles de castration et de travail forcé. Et tu me dis : « Mais on n’a aucune prise sur toi ! Tout glisse sur toi. Tu es possédé, ce n’est pas possible autrement ! »

     Oh Laura Perle, mais que me chantes-tu là ?

     « Je suis une grande bourgeoise victorienne et une courtisane chinoise, c’est toute ma vie ; je fais payer le produit de mes en­trailles. »

     Elle me parle de son idéal bourgeois. Ne vous moquez pas, Laura Perle n’est qu’une précurseuse et une pionnière du nouvel ordre mondial.

     Oh Laura Perle, je sais ton paradis, c’est certes déjà celui des singes obsédés sexuels Bonobo, qui sont tous bisexuels, pédophiles ; tous les conflits de leur société matriarcale semblent désa­mor­cés dans des décharges sexuelles effré­nées. Paix et amour. Des mâles parfumés, courtisans, et précieux, accom­mo­dants, totalement imberbes, et ce n’est pas ça le pire. Mais dans ton monde, il n’y a pas de place pour l’aventure, pour respirer, pour avoir le temps de vouloir. Et puis il est aussi surtout celui des insectes : tout ne tourne qu’autour du travail forcé, du prestige social, des conve­nances castratrices, de rites vieux de millions d’années.

     Je suis la contradiction de ton monde fermé, de tes schémas mentaux, de l’évolution de ton inné. La grande famille des insectes est bien plus cruelle et impitoyable qu’il n’y paraît, et par le passé toi et les tiens avez déjà suffisamment dominés, à coup de glandes et de complots.

     Dès que vous le pouvez, toi et les tiens, plus rien ne peut pousser librement car vous avez peur de tout, et vous voulez tout assujettir, à coups de tortures, de feu et de phéromones. À la finale, avec vous, il n’y a plus d’individus, car vous êtes des germes de mort parfumés, n’est-ce pas Laura Perle ?

     Il y a la religion, et l’idéal bourgeois, et puis surtout la réussite. Réussir quoi, je ne sais pas.

 
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     Il y a l’argent, et puis aussi le vaincu dont on mange le cœur, et qui rend plus fort, un pouvoir sur la tribu, c’est psychologique. De la peur du combat, une bonne réputation permet-elle l’économie ?

     Proie de mon instinct, Laura Perle  me dit : « Les esclaves autrefois n’étaient pas si malheureux. Ils étaient bien traités, et ils faisaient même partie de la famille ».

     Elle me dit : « Je ne vois pas le problème des anciens cas­trats, et des gosses qui travaillaient douze heures par jour. Cela les rendait malins et dégourdis, et leur permettait d’avoir le ventre plein. »

     « Les allocations logement et toutes ces aides, c’est un véritable scandale. Cela ponctionne la société. Dieu a inventé le petit doigt, pour que l’on puisse se nettoyer l’oreille avec. »

 

 

     Laura Perle est une femme que beaucoup trouvent belle, complètement azimutée. Sa plastique un peu froide attire les mâles particulièrement terre à terre, qui aiment la viande pas compliquée. Elle est folle, et sa folie la rend fragile, et certains aiment ça.

     C’est une folle, d’une folie du genre vulgaire malgré la prétention culturelle, qu’on retrouve chez tous les lecteurs passionnés de Gala, de Voici, chez les tenants du libéralisme économique absolu (de l’école de Chicago), et dans la petite tête des 80 % d’Américains qui, selon un sondage, sont intimement persuadés qu’ils vont faire partie des millionnaires d’ici trois ans.

     Elle vit dans son monde du 18ème siècle, et ses identifications sont des idées fixes.

     Proie de mon instinct, elle me dit : « Les bourgeois étaient bien plus malins que les aristocrates ; la preuve c’est que très souvent ils possédaient davantage de domestiques. »

     Laura Perle me dit : « Mai 68 a été le début de la fin pour la société. Au paradis, les serviteurs seront peut-être rem­placés par des robots. Jésus se chargera de notre alimen­ta­tion, et de la guerre bactériologique. Car il a promis qu’il s’occuperait de nous. C’est écrit dans la Bible. Le Bouddhisme a fait beaucoup de mal dans le monde. L'Amérique sera la dernière nation à obéir à Dieu avant la fin des temps, ce sera le dernier refuge, c'est écrit. D’ailleurs, l’anglais et l’hébreu sont les langues les plus logiques du monde », dit-elle, d’une toute petite voix d’enfant et de croyante, qui me glace le sang.

     Elle confond, et le noir, et le blanc, et tout ce que je sais.

     Il va falloir que je lui explique.

 

     Elle dit enfin, pour finir : « Tout le monde a des Trucs ! – Tout le monde doit croire à Dieu et à Diable, à l’exemple et à la loi – car je suis une personne bien parvenue, dont la société est l’intérêt. »

     Mais de quoi parles-tu, Laura Perle, oh Laura Perle !? Et de quoi parlez-vous, vous tous mes concitoyens qui vous exprimez ainsi ?


 

 

« Ce n’était que des fous ! Il faut une religion simple ! »

 

     Je n’arrêtais pas de rire en l’écoutant, et puis ses propos provoquaient chez moi des milliers de pensées acérées comme des aiguilles, et j’aimais cela.

     Est-ce qu’elle plaisantait ? Folle, complètement « starbée », ravagée, gaga, frapadingue, est-ce qu’il faut vraiment la voir comme ça, Laura Perle, ou bien comme un début de mutation vers les sociaux, avec des bouts d’antennes et un dard mortel, et l’ambition secrète des insectes ? Dites-moi, Doc, est-ce que tout va bien ?

     Est-ce qu’au fond de moi, je vais mieux ? Est-ce que je corresponds vraiment à notre rassurante normalité officielle ? Et toi, Doc, tout au fond de toi ?

     Laura Perle, elle n’a jamais travaillé, mais franchement, je n’aime pas le résultat de sa vie si facile.

     Ou peut-être que ce résultat était de toute façon inscrit dans ses gênes, ou dans les astres, que son destin était juste d’être ce qu’elle était, les émotions, les envies, les idées.

     Laura Perle, comme elle n’a jamais travaillé, elle sait peut-être juste moins comment se camoufler que les autres gens. Elle ne connaît pas les risques et le ridicule de tenir de tels propos. Peut-être qu’il y a beaucoup de gens qui sont tout bas ce qu’est Laura Perle, et que certains d’entre eux ne le savent même pas consciemment.

     Ainsi Laura Perle, au doux sourire qui fait parfois tomber les mâles, me parle : « Mais on s’en fout ! Et de toute façon, tous ces gens qu’on brulait et qu’on appelait des hérétiques, on s'en fiche complètement, ce n’était que des fous ! Il faut une religion simple, que tout le monde puisse comprendre ! ».

      Laura Perle m’agresse presque dès qu’elle le peut, avec sa norma­lité de l’ère victorienne, et ses idées fixes d’outre monde.  J’avais pris le parti d’en rire, et on peut rire de bien des choses, quand on n’en dépend pas. Un jour, ils durent être nombreux à penser comme elle.

     Existence chez ces croyants de l’ère victorienne, et de ceux du Moyen-Âge, oui, de croyances étranges, incompré­hen­sibles ; des idées délirantes ; modes de pensées irréelles : c’est caractéristique. Il faudrait ajouter : tendances réduc­trices, fanatiques et criminelles.

     La normalité (économique, religieuse, citoyenne, etc.) a des assises psychotiques. Et si elle n’a pas toujours tort, car rien n’est tout blanc ni tout noir : il ne faut y voir que ce qui arrange une majorité folle et dangereuse, et sans espoir de guérison, maîtresse de la place et dénuée de toute pitié.

     Parfois, ça ne me dérange pas. La normalité d’aujourd’hui ne me dérange pas.

     Laura Perle a un joli prénom, qui fait penser aux golfs clairs de l’Italie radieuse.

 

 

 

Le petit pot de beurre et les galettes

 

     Laura Perle, elle n’est pas pire que la plupart des gens.

     Elle s’appelle Laura Perle, et elle a réussi à vendre le fruit de ses entrailles pour une vie confortable. Elle est de ceux qui peuvent encore croire au rêve Amerlokien.

     Reconnaître il faut, qu’autrefois : les gens se revendi­quaient tout haut de ces propos dénués de toute pitié, pour les classes inférieures, les enfants, les femmes, les bêtes, les loosers, les marginaux, les délinquants, les homos, les bronzés, les antimilitaristes, les flemmards, les libres penseurs, et qu’aujour­d’hui ils osent moins.

     D’avoir aussi peu de substance, aujourd’hui les gens sont-ils plus excusables ?

 

     Je me rappellerai toujours de cet après-midi ensoleillé, et de Laura Perle. Nous avions donc, mon ami et moi, apporté avec nous un petit pot de beurre et les galette.

     « Mettez les galettes et le petit pot de beurre sur la table, dégustons tranquillement. Et venez vous coucher ce soir dans la chambre d’ami ! », nous a proposé Laura Perle.

 

 « Mais, Laura Perle, que vous avez de grands bras !
— C'est pour mieux te serrer dans mes bras, oh visiteur !
— Ma Laura Perle, que vous avez de grandes jambes !
— C'est pour mieux courir, oh visiteur.
— Ma Laura Perle, que vous avez de grandes oreilles !
— C'est pour mieux écouter, oh visiteur.
— Ma Laura Perle, que vous avez de grands yeux !
— C'est pour mieux voir, oh mon visiteur.
— Ma Laura Perle, que vous avez de grandes dents !
— C'est pour mieux te manger. »


     Et en disant ces mots, Laura Perle se leva et partagea entre nous le petit pot de beurre et les galettes... dans le jardin, il faisait si beau, le jardin anglais sentait si bon, que tout cela était donc agréable !

     Mais bon.

     Je crois que nous avions des choses à faire le soir même, la faute à « pas-de-chance ». Nous avons donc poliment décliné son invitation et si je me souviens bien, quelques heures plus tard, nous sommes partis à travers la colline, avant la nuit.

     Quelle histoire !

 

 

                                              Odal GOLD

 

                                                                          www.odalgold.com

 

 

 

 



14/01/2015
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