La privatisation de l'eau à Cochabamba (Joel Bakan)

 

 

          Oscar Olivera est l'un des délégués syndicaux qui ont menés le soulèvement populaire contre la privatisation de l'eau à Cochabamba, en Bolivie. « Nous vivons dans un monde où tout le monde a peur, dit-il. Peur du noir, peur de perdre son emploi, de parler, d'exprimer ses opinions, d'agir. Il est temps d'oublier nos craintes, de retrouver la force de nous unir, de nous organiser. Il est temps de retrouver la foi en soi et dans les autres. » Ce programme, Olivera et la ville de Cochabamba en ont fait une réalité.

            La bataille a commencé lorsque, cédant aux exigences de la banque mondiale, le gouvernement bolivien a privatisé son système de distribution d'eau et a confié au consortium Agua del Tunari, contrôlé par la société International Water Ltd, elle-même filiale de Bechtel, la gestion de son réseau hydraulique à Cochabamba. Dans cette ville du centre de la Bolivie où l'eau est rare, le système de distribution était vieux et n'atteignait pas les régions rurales, où vivent de nombreux paysans. Aussitôt après avoir pris le contrôle du système de distribution, Aguas del Tunari a augmenté les tarifs (qui dans certains cas ont triplés) et a même décidé de faire payer aux paysans l'eau qu'ils tiraient de leurs propres puits.

 

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            Conformément au contrat signé avec le consortium, le gouvernement bolivien a fait voter une loi interdisant aux habitants de recueillir l'eau des lagunes, des rivières et des deltas – et même l'eau de pluie. De plus, le consortium a confisqué, sans dédommagement, les dispositifs de captation d'eau fabriqués par les habitants, et en a pris le contrôle. Aguas del Tunari a justifié ces mesures, ainsi que l'augmentation des tarifs, en disant y être forcé pour atteindre les quotas de profit stipulés dans le contrat.

 

            Soutenus par une coalition d'associations dirigée par Olivera, citadins et paysans se sont mobilisés pour réclamer le départ du consortium. Celui-ci n'a renoncé à son monopole qu'à l'issue de sanglantes confrontations qui ont opposé la population et les forces de l'ordre (police et armée). « Il y a eu énormément de blessés, raconte Olivera, des jeunes de 16 et de 17 ans amputés d'un bras ou d'une jambe, paralysés pour toujours, souffrant de lésions cérébrales. Un jeune homme a été tué, Victor Hugo Daza, et il y a eu cinq autres morts dans les campagnes… Cette victoire, nous l'avons payée très cher. »

 

            Nous avons été témoins de cette capacité inouïe qu'ont les gens à s'organiser, à s'unir, à être solidaires. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. Des gens de toutes les couches de la société, riches, pauvres, paysans, femmes, jeunes, vieillards. Tous ont commencé à sentir qu'ils étaient puissants, qu'ils avaient le pouvoir de prendre des décisions, de choisir ce qu'ils voulaient faire de l'eau dans leur ville.(…)

 

            La société de distribution d'eau a été déprivatisée et restituée aux habitants de Cochabamba. (…)

            La loi des entreprises n'est pas inamovible. Quand les gens s'unissent, se soutiennent et s'organisent pour crier leur mécontentement, ils deviennent une extraordinaire menace pour les corporation et les gouvernements qui les appuient. La grande entreprise est certes un ennemi de taille, mais « des victoires [comme celle de Cochabamba] sont remportées un peu partout dans le monde », rappelle Olivera. La restauration du contrôle démocratique sur la corporation [dans le sens anglo-saxon de consortium] est une énorme bataille, mais il faut la mener.
 

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            Nous devons défier la loi des corporations si nous voulons voir grandir les valeurs et les aspirations que les entreprises s'acharnent à détruire : la démocratie, la justice sociale, l'égalité, la compassion. La corporation et son idéologie véhiculent une conception de la nature humaine trop étroite, trop déformée et trop déprimante. L'individualisme, l'intérêt personnel et le désir de consommation existent, et nous n'avons pas à en avoir honte, mais ils ne nous représentent pas entièrement.(…)

 

            Le meilleur argument à opposer aux entreprises, c'est qu'elles ne nous ressemblent pas, que l'image qu'elles nous renvoient de nous est fausse. « Fondamentalement, l'être humain est un organisme qui a besoin de sentiments et d'empathie, affirme le scientifique et activiste Mae-Wan Ho. Quand quelqu'un souffre, nous souffrons aussi. (…)

 

            Tout ordre social qui réprime des aspects aussi essentiels de nous-mêmes est condamné à disparaître. Cette vérité est valable pour les entreprises autant qu'elle l'a été pour les régimes communistes. Un simple regard sur la nature humaine et l'extraordinaire éventail de ses capacités suffit pour comprendre tout ce qu'il y a de dangereusement fragmentaire dans la valeur étriquée de l'intérêt personnel qu'encense la corporation (> Les grandes sociétés multinationales).

 

 

 

Extraits de « Psychopathes & Cie » de Joel Bakan    www.odalgold.com

 



11/05/2007
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