L'essence de la beauté et l'argent
Autrefois, le teint pâle était surtout apprécié comme l'apanage des riches, des bons, des possédants, des vrais – ceux qui décident en fait de la mode – parce que son teint pâle prouvait que l'individu qui l'avait n'était pas astreint aux travaux de la terre et donc qu'il n'appartenait pas à la caste inférieure.
Et puis il y eu l'évolution du monde du travail. Maintenant, la caste inférieure est le plus souvent cantonnée dans des usines ou des bureaux blafards. Avoir le teint halé est au contraire devenu la preuve que la personne bronzée peut se payer du bon temps au soleil. Comprenez-moi : le teint blafard est devenu, à l'inverse de ce qu'il signifiait avant, le teint de celui qui ne peut pas se payer de vacances. Quelqu'un de bronzé posséderait donc, maintenant, l'argent et le pouvoir, il serait à son tour devenu un bon, un possédant, un véridique, un maître, un envié.
« Il est vrai que, dans la plupart des cas, c'est peut-être simplement en raison de leur puissance supérieure, qu'ils se nomment eux-mêmes les « puissants », les « maîtres », les « capitaines », ou d'après les signes les plus visibles de cette supériorité, par exemple les « riches », les « possédants » (c'est là le sens de arya qu'on retrouve dans le groupe iranien et dans le slave). »
(La généalogie de la morale – Frédérich Nietzsche
Paraître celui qui vous domine, tel semble la rengaine du fan des très vieilles familles, de l'érudit de la Star Académie, et le credo de l'amoureux du show-biz moderne en général. Et ils sont nombreux, tous ces supporters fanatiques.
L'Argent mène la plupart des hommes jusqu'à la moelle. Les peuples, ces supporters fanatiques des bons, des possédants, des véridiques, des maîtres – suivent sa mode instable au gré des apparences, et ces apparences leur suffisent depuis toujours.
La société de toutes les époques, semble t'il, n'a jamais pensé son type idéal d'homme (mental, physique), tel qu'elle en fait ses religions et ses hommes politiques – que par rapport à l'argent.
Et pourtant, parfois, l'argent ne protège pas le coeur.
La technologie a changé le monde du travail qui a lui-même modifié notre conception visuelle de l'homme « bon », riche, possédant, « véridique ». A la base, de simples innovations techniques ont changé l'aspect de l'homme « bon », juste, droit, envié, riche tel que chacun devrait – d'après tous les canons si « positifs » de la société moralisante – rêver de l'être.
Même quand il semble le refuser, cet argent possède complètement le populo, et depuis toujours ce populo s'est adonné de tout son cœur à ses triomphes. Les faux semblants ont toujours constitué les triomphes de l'argent et du peuple, et ceux qui s'en défendent le plus – ceux-là – ils sont souvent leurs plus grands zélateurs.
Moi aussi j'aime l'argent, et j'aime aussi les apparences et les ombres furtives dans la trop grande ville. Il n'y a rien de beau que ce qu'on croit beau, d'après tous ces civilisés : c'est qu'il faut soi-même être un puissant, un bon, un possédant, un véridique, un maître, un envié – pour pouvoir créer un système des valeurs – et affirmer ce qu'est la beauté.
Quitte à croire à une essence de la beauté, je veux aussi croire que les proportions et les règles mathématiques peuvent s'unir comme des harmonies. Les proportions, l'équilibre, les différents rapports que l'on trouve dans le corps humain – finissent par former des symphonies, des édifices dans le genre du Parthénon d’Athènes. Peut-être l'argent et le peuple chez les Antiques Doriens sont-ils devenus, un jour, effectivement, l'essence de la vraie beauté telle que je peux la concevoir – mais alors ce fut une coïncidence « due au hasard prodigieux ».
Le nombre d’or (1,618033), le rapport de 4 à 9, et les autres canons mathématiques (ce rapport entre la longueur de l'avant-bras et celle de la main par exemple) définissaient tous la beauté en fonction du corps humain – car d'après la beauté telle que la concevaient les Antiques Doriens, le corps humain est la proportion de toutes choses.
Aujourd'hui la beauté serait devenue tellement subjective que les seuls à pouvoir la sortir de l'informe et décider de ses critères, concernant notre forme humaine, sont les Karl Lagerfeld, les parfumeurs, les modistes, et autres Jean-Paul Gaultier. Cela me laisse songeur, déjà ces femmes-insectes froids et osseux que ces « haut couturiers » peignent et dépeignent comme la femme idéale.
Et ce n'est pas mon souci si le corps humain, malgré toutes les publicités vénales qui l'étalent partout, est en fait devenu un vrai Tabou (dangereux pour ceux qui voudraient le transgresser) pour tous les autres.
Et ce n'est pas mon problème si les modernes n’aiment pas du tout leur corps – au moins aussi peu qu’au Moyen-âge (et ses Tabous liés au corps) – mais d'une autre manière.
Les gens, ils ont « quelque chose ». Mais je suis bien aussi dans cette époque.
Moi j'aime sentir mes pas sur le bitume et mon haleine embuée dans la nuit froide. Mon rêve glacé est beau, mais assurément il est un peu fou – et l'argent il s'en soucie trop peu. Je veux aussi du cuir, et ce que j'appelle le « vrai » est l'esprit humain qui a permis la construction du Temple du Parthénon, et non pas simplement l'argent ni le temple lui-même.
Odal GOLD